Le désir conjugal, un puits intarissable ? Pas si simple…
Les moments tendres et coquins peuvent se faire plus rares au fur et à mesure que le couple avance dans la vie. Selon les personnalités, le phénomène occasionne de la déception, voire de la souffrance. Des solutions existent pour retrouver le désir conjugal. Et une littérature consacrée foisonne.
Les débuts d’une histoire d’amour semblent souvent magiques. Sur un nuage, le couple vit une période de “lune de miel” et se découvre, au sens propre comme au figuré. Les partenaires se désirent à chaque rencontre. Cette période dure de quelques mois à trois ans maximum. Puis le couple s’installe, partage la routine du quotidien. L’un et l’autre se découvrent des défauts et des petits agacements. L’idéalisé de l’autre peut tomber et le partenaire peut voir plus distinctement à qui il a à faire.
“Le couple qui survit à dix ans de routine peut prétendre être solide, affirme Sylvie Loumaye, psychologue-sexologue. Il n’y a plus que 50% de chances qu’il se sépare.” La raison ? “Après une si longue cohabitation, des Noël dans leurs familles respectives, des vacances ensemble…, les partenaires ont pu s’ajuster, faire avec, légiférer.” Les années et la routine métro-boulot-dodo, avec ou sans enfants, ne laissent plus beaucoup de place au désir charnel. Ce qui peut décevoir les individus qui, il n’y a pas si longtemps, se désiraient ardemment.
La grande partie des participants aux conférences que donnent Sylvie Loumaye et Serge Dehouwer (“Jeux et enjeux du désir conjugal”), tous deux psychologues-sexologues, vit cette réalité. “Ceux-là tournent un peu en rond et veulent redynamiser leur relation, ajoute la thérapeute. Il s’agit de couples ouverts qui ne désirent pas aller voir ailleurs. Ils veulent se nourrir avant d’avoir faim.”
Le désir est tabou
Première difficulté : dépasser le tabou de la sexualité. Un sujet pas évident à aborder du fait du poids de la culture, de l’environnement religieux… Les notions de désir et de plaisir ont été écartées, voire bannies de l’éducation des jeunes esprits. Même si l’on n’attache plus les mains des jeunes garçons pour éviter qu’ils ne se touchent comme il y a 50 ans, le désir reste quelque chose de tabou, voire de condamnable. Les jeunes filles, soumises aux mêmes types d’interdits, n’ont pas connu situation plus enviable.
Le plaisir féminin, moins évident ou plus subtil que le masculin, n’a été reconnu que beaucoup plus tard. Bien sûr, les femmes éprouvent du désir. Mais elles n’ont pas toujours pu l’exprimer librement. Avec les mouvements libertaires des années 60 et l’apparition de la contraception au début des années 70, le rapport féminin au désir a évolué. “Avant cela, raconte Elisa Brune (voir lectures ci-dessous), la sexualité a été asphyxiée, comprimée, refoulée par une éducation rigide, ce qui entrainait une sexualité décevante.”
Le désir est une lasagne
Qu’est-ce que le désir ? La science l’explique comme “le mobile de l’action sexuelle qui se manifeste dans le corps, dans la tête, et qui, lorsque tout va bien, amène la personne à mener une action”. Le philosophe Aristote en proposait une version plus poétique : “l’appétit de l’agréable”. Plus imagée, une troisième manière de raconter le désir, telle que le propose Sylvie Loumaye lors de ses interventions, est de le voir comme une lasagne. “La première couche est naturelle : le besoin de reproduire l’espèce. La seconde est culturelle, à savoir toutes les influences du contexte dans lequel vit l’individu. Enfin, troisième couche : le personnel, ou le caractère de la personne, son expérience, son vécu…”
Existe-t-il un besoin sexuel ? Dans ce débat, deux visions se confrontent… Les partisans du “oui” soutiennent que le comportement assorti d’envie et de plaisir est programmé dans les gènes de l’humain. Ils avancent aussi l’argument de la survie de l’espèce. Bref, depuis que le monde est monde, les humains ont fait et feront l’amour. D’autres conviennent que sans rapport sexuel, on ne meurt pas. Le sexe ne serait donc pas vital. Certains le voient comme un besoin qui enclave le conjoint dans une notion de devoir.
“En guise de synthèse, explique Sylvie Loumaye, le propre de l’humain est de transformer cette tension en tendresse.” On peut appeler ça l’érotisme.
Les stimulants du désir
D’après la sexologue, trois éléments “boostent” le désir d’un individu pour l’autre. Il y a ce qui est lié à la personne elle-même, son ressenti interne. Puis ce qui est lié à l’autre : son apparence, son odeur, son attitude, les mots qu’il prononce… Enfin, il y a ce qui est lié au contexte : est-ce un jour de congé demain, est-ce qu’il fait sombre, est-ce qu’il fait chaud… ?
« Et vous ?, demande souvent la sexologue aux participants lors de ses rencontres, dans quel ordre ces éléments stimulent-ils votre désir ?” Pour les hommes, annonce-t-elle, c’est souvent ce qu’ils ressentent qui prime, puis ce que dégage la partenaire, enfin le contexte, l’ambiance du moment. “Chez les femmes, c’est tout l’inverse ! C’est ce qui explique souvent la difficulté de se comprendre.”
Alors, il existe des méthodes pour que les hommes et les femmes puissent s’harmoniser. D’abord, “faire l’amour comme un jeu. La sexualité est le jeu des adultes”. Deuxièmement, faire l’amour sans enjeu. “Le lit ne peut pas être un lieu de revendications non exprimées. Faire la grève du sexe parce que monsieur est rentré tard la veille ne sert à rien. Il ne le comprendra pas ! Mieux vaut exprimer les choses et ne pas utiliser la sexualité pour régler ses comptes.”
Quelques conseils plus élémentaires : avoir une hygiène corporelle irréprochable, aménager la chambre en un lieu cosy, se mettre en condition de sérénité… Moult conseils existent et il est difficile ici de tous les partager. Un dernier, capital : investir du temps et de l’énergie dans son couple. Au début d’une histoire, le temps est planifié. Avec la cohabitation, les moments consacrés au couple ne sont pas réellement fixés dans le temps. “Même si c’est trois heures, c’est important de pouvoir se réjouir de passer du temps ensemble.”
Un pas plus loin…
Un nombre impressionnant de livres est édité sur les questions de couple et de la sexualité. S’il fallait en retenir trois ? Conseils de Sylvie Loumaye, psychologue-sexologue.
Alors, heureuse… Croient-ils !
Pour les hommes, ce livre qui donne la parole aux femmes peut mieux faire connaître le fonctionnement du plaisir féminin. Le style humoristique (parfois sarcastique !) accroche bien et incite les hommes qui sont prêts à se remettre en question à faire leur autocritique, pour plus de plaisir encore …
>> Alors, heureuse… Croient-ils ! La vie sexuelle des femmes normales • Elisa Brune • éd. Du Rocher • 2008 • 274 p. • +/- 17 EUR.
Désir : roman sexo-informatif
Pour les femmes, mais pas seulement, un livre pragmatique et des conseils pratiques sur le plaisir féminin. Comment il varie, fluctue, diminue et parfois disparaît. La formule est originale : vous lisez un roman d’aventures enrichi d’informations sexologiques.
>> Désir : roman sexo-informatif • Pascal de Sutter et Valérie Doyen • éd. Odile Jacob • 2014 • 304 p. • +/- 22 EUR.
Aimer durablement
Pour les couples, un ouvrage qui ne donne ni recettes, ni mode d’emploi pour s’engager aujourd’hui dans une relation amoureuse pérenne. Par contre, il propose d’éviter des pièges et démonte certaines fausses évidences qui mènent trop de couples de bonne volonté au naufrage. Il pose la question de la fidélité et de l’érotisme au long cours.
>> Aimer durablement • Armand Lequeux • éd. Mols • 240 p. • 2011 • 20 EUR.
“La sexualité, on la fait. On n’en parle pas”
Pas simple de s’adresser à un sexologue lorsqu’on endure une sexualité insatisfaisante. Ceux qui en souffrent prennent du temps à se lancer. Leur souffrance, explique le thérapeute Serge Dehouwer, est le meilleur levier d’action.
En Marche (EM) : La sexologie apparaît tard au rayon des sciences humaines. Pourquoi ?
Serge Dehouwer (SD) : C’est lié aux tabous qui la recouvrent. La sexualité, on la fait. On n’en parle pas. Le poids culturel explique que la sexualité s’exprime difficilement. Ce n’est qu’à la fin des années 50 que des chercheurs étudient la sexualité des couples aux États- Unis. Il y a une dizaine d’années, la sexologie entrait à la faculté de psychologie de l’UCL et, il y a deux ans, à l’Université de Liège.
EM : Traitez-vous davantage des symptômes psychologiques que physiques ?
SD : C’est rarement aussi dichotomique… Les phénomènes sont souvent imbriqués. Une grande proportion de mes patients, de l’ordre de 90 à 95%, souffrent de troubles plutôt psychologiques liés à un contexte de couple particulier, à une angoisse de la performance, à des pensées parasitaires…
EM : Consulter un sexologue, c’est difficile ?
SD : Terriblement ! Un patient réfléchit en moyenne durant six ans avant de consulter. Les femmes font plus aisément la démarche, peut-être parce qu’elles s’expriment plus facilement sur leurs difficultés. Les hommes, par contre, pensent d’abord que leur problème se résoudra avec le temps ou qu’ils trouveront eux-mêmes une solution. Dès la première séance, je dois mettre mon patient à l’aise pour le laisser s’exprimer.
EM : Que dire à ceux qui n’osent pas faire le pas ?
SD : Il est possible de vivre sans une sexualité épanouie. Mais si la sexualité devient une souffrance, on peut faire en sorte que la souffrance diminue et que la sexualité soit mieux vécue. La souffrance est une notion capitale, un levier d’action. Celui qui souffre et n’agit pas se résigne. La résignation n’apporte pas le bonheur. Au contraire, elle nourrit la situation douloureuse.